Une municipalité, une histoire | Chazel
25 juillet 2025
Chazel
« On en a bûché une shot icitte d’dans! » C’est avec la lame accotée sur le tronc des conifères que les hommes de chantiers ont gagné leur pitance à Chazel pendant si longtemps. Tant et si bien qu’en regardant de plus près les paumes de leurs mains, leurs lignes de vie sont des rainures de souche. Ça ne ment pas. Ces mains-là ont tenu aussi la bêche, la herse agricole, mais elles n’ont jamais éprouvé autant de satisfaction qu’en empoignant une sciotte du temps du grand-père, une scie à chaîne pour le fils ou « une skiddeuse » pour le petit-fils. À preuve, quand les années 60 sont arrivées pour sonner le glas du double travail : agriculture en été et chantier forestier en hiver, il fallait choisir un des deux métiers. Aucun autre village n’a penché avec autant de force vers la forêt puisque de 90 fermes, elles n’étaient plus que 4 seulement 15 ans plus tard. Comment en aurait-il été autrement? Les familles pionnières viennent majoritairement de régions forestières du Québec.
Puis, qui dit forêt dit ennui. Le temps du bûchage sur son propre lot fut vite passé, qu’il fallait aller bûcher ailleurs dans les chantiers en quittant femmes et enfants pour quelques jours, puis des mois de réclusion pénible avant que les progrès techniques nous fassent revenir à la maison plus souvent et plus longtemps. La main gauche pâlie par le bran de scie jusqu’en dessous des ongles, a souvent essuyé des larmes tombées sur la chemise à carreaux pendant que la droite tenait la lettre d’amour écrite par leur femme. Pour se redonner du courage, si quelques-uns sortent un flasque, d’autres joueront aux cartes, conteront leurs exploits de force, joueront de la musique ou encore ironie du sort, joueront aux dames pour oublier qu’ils sont loin de la leur…
L’ennui vient de l’attente et surtout de la distance. C’est donc dire que les gens de Chazel ont voyagé, ont connu les moindre vallons et bout de rang d’une trâlée de patelins avec un regard pragmatique, se sont fondus aux gens d’ailleurs qu’ils croisaient et se sont attaché plus aux équipes, aux valeurs, aux métiers qu’aux endroits parcourus puisqu’une forêt mature à couper, c’est vite fait quand on pense au temps qu’elle prend pour pousser. Même les scieries n’ont pas été éternelles.
Quant à l’appartenance des gens d’ici pour aller chercher la plupart des services courants, quelques nouveaux arrivants sont surpris d’apprendre que Chazel avait et a encore dans une moindre mesure, le regard tourné vers Macamic plutôt que La Sarre. Du temps du Curé Tremblay dans les débuts de la colonie, deux ponts avaient été rapidement construits vers Macamic et le prêtre desservait les deux localités. Le bois bûché au Lac Chazel prenait la direction de La Sarre facilement par la rivière pour se rendre au moulin de l’Abitibi-Paper, mais on insistait également pour tirer le bois par bateau à contre-courant pour l’apporter à une des 6 scieries de Macamic en plus de quelques gars qui venaient y travailler et y faire leurs achats. L’asphaltage s’est fait par Macamic bien avant La Sarre pour relier le village. À la fermeture de l’école de Chazel, c’est à Authier-Nord, puis à Macamic que les jeunes avaient pris habitude d’aller avant de finir leur secondaire à La Sarre. Le nom des familles souches est fortement lié à celles plus à l’Est avec l’immense lac Macamic comme territoire commun, sans compter les lacs Courval et Piton qu’on redécouvre avec plaisir par le développement d’un camping et d’un nouveau chemin d’accès. Pour les territoires de camp de chasse, c’est la même chose. Aujourd’hui, plus de gens vont chercher les services courants à La Sarre. L’emplacement des emplois forestiers a suivi relativement la même tendance. En terminant, ce qu’il vous reste à faire, c’est de donner une poignée de main à quelqu’un de Chazel pour constater vous-même la vigueur de la prise, la sincérité du geste vif et la texture de la main qui s’apparente à de l’épinette polie. Si le cœur vous en dit, revirez votre poignée de main en prise de tir au poignet. Illico, vous trouverez assurément devant vous un ami concurrent prêt à rivaliser après vous avoir dit fébrilement « tire-toi une bûche ».
Un texte de Guillaume Beaulieu
Ce projet a été réalisé grâce au soutien financier du ministère de la Culture et des Communications.